Au fil de mes lectures

La mariée de Cabourg

Mes p’tites souris jolies,

Entre les vacances, la reprise du boulot et les préparatifs d’un gros déménagement, je n’ai pas trop eu le temps de vous raconter mes lectures estivales et j’en suis désolée, mais je vais reprendre mon rythme de croisière très rapidement… Merci pour votre indulgence et votre fidélité !

Je souhaitais partager avec vous aujourd’hui une ravissante nouvelle découverte, grâce à une amie, sur ce site mais dont je n’ai pas trouvé l’auteur. Je serai enchantée de pouvoir lui rendre hommage comme il se doit et mettre son nom en titre de cet article si jamais il passait un jour par ici !

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La grande mer – Pastel de Marie de Latour

Quelle chaleur ! Ca me rappelle ces longues après-midi d’été passées au bord de la plage avec mes deux garçons. En face du Grand Hôtel. Les clients huppés se prélassaient sur la grande terrasse. Leurs regards légèrement dédaigneux exaspéraient Jean. Je m’en fichais. Nous n’étions pas du même monde, un point c’est tout !

Tiens, voilà Madame Gaudin. Elle devrait être à sa boulangerie à l’heure qu’il est. Elle me fait signe mais je ne m’arrête pas. Je suis déjà en retard et elle est bavarde comme une pie. Je passerai la voir un autre jour, lui acheter des tartelettes aux fruits, pour mes fils. Ils vont bien venir nous voir un jour ! Entendre la vieille maison craquer sous leur cavalcade bruyante. Mitonner pendant des heures leurs plats préférés pour la joie de les entendre s’exclamer la bouche pleine : « Délicheux M’man ! Tu la réussis toujours aussi bien cette blanquette ! » Etait-ce la blanquette ? Ou le bœuf bourguignon ? Je ne m’en souviens plus. Je demanderai à Antoine en passant lui dire bonjour. Le seul fils qui soit resté près de ses vieux parents ! Il a installé son cabinet de kinésithérapie dans le centre-ville. Je passe régulièrement lui rendre visite. Un petit bonjour, des confitures pour lui et Isabelle, sa femme. Que leur ai-je prévu aujourd’hui ? Des poires du verger. Je les ai là, dans mon cabas. Jean dit que je m’impose, que je vais les faire fuir. J’observe souvent Isabelle : cache-t-elle dans les plis de sa robe les rondeurs tant espérées ? Nous attendons depuis si longtemps un petit enfant. Je lui raconterai des histoires sur notre famille. Nous nous promènerons dans le verger, cueillir des poires, des pommes, en faire des confitures, du cidre, du poiré. Jean et moi nous sommes mariés dans ce grand jardin. Une belle fête en l’honneur de notre union et de la fin de la guerre. 1946. Des mètres et des mètres de soie et de dentelle pour ma robe de mariée, un clin d’œil aux années de rationnement que nous venions de vivre. J’avais attendu Jean, sans perdre espoir, quatre longues années. Quand il est revenu, mon père a solennellement déclaré : « Ma fille, tu seras la plus jolie mariée de Cabourg ! »

Jean et moi aussi désirons de beaux mariages pour nos fils. Nous avons épargné, sou après sou. C’est bientôt le mariage de Guillaume, notre aîné. Comment s’appelle sa fiancée déjà ? Une mignonne parisienne. Elle travaille dans la mode. Mon beau sac en cuir, c’est elle qui me l’a offert. Je l’ai mis pour aller à la messe le dimanche suivant, des regards envieux m’ont littéralement portée jusqu’à mon banc ! Je glisse toute ma vie dans ce sac, mon plus fidèle compagnon. Plus fidèle que mon cher époux. Oh, ne te défends pas Jean ! Je la connaissais également la rumeur vous concernant, toi et… Comment s’appelait-elle ? Au conseil paroissial, elle te couvait avec des yeux de louve. Mais je ne t’en veux pas, va. Avec le temps, la mousse recouvre la pierre, ne restent que le réconfort de boire ensemble un thé chaud avec ton cake préféré, regarder une émission idiote, partager les derniers potins sur les concours d’ingénieur ratés du fils Labrousse, l’enfant hors mariage de Jeanne Manset et Lucas Baudin, le … Les yeux me piquent, allons bon je pleure maintenant. Le docteur m’a donné des cachets pour me remonter le moral. Où sont-ils déjà ? Dans mon sac. Mais… Où est-il ? Il me faut mon sac ! J’y glisse toute ma vie. Elle s’appelle Annie. La jolie fiancée de Guillaume. Je voulais lui montrer combien j’aimais son cadeau mais elle n’est jamais revenue après cette visite. Un accident de voiture. Ils sont morts tous les deux, à quelques semaines de leur mariage. Je prends soin du sac, ma façon à moi d’honorer sa mémoire. Dans la pochette zippée de la doublure, j’y ai glissé des photos d’eux, au temps du bonheur. Deux tourtereaux qui continuent de s’aimer, bien à l’abri dans ce nid discret, à l’odeur de cuir vieilli. Avec ce sac à mon bras, je me sens invincible, élégante, jalousée. La tête redressée, les épaules droites, je deviens une actrice à la mode, une femme de la haute, une de ces clientes alanguies sur la terrasse du Grand Hôtel… Mais où est-il passé? Je vais demander à Antoine. Il saura. Il trouvera les mots qui m’apaiseront. Arrivée devant son cabinet, je m’arrête un instant pour regarder sa plaque, j’en rougis de fierté… Mais… Elle n’est pas là ! La plaque n’est plus là ! Me suis-je trompée de rue ? Impossible. Les quatre petits trous où logeaient les vis me narguent. Quelqu’un a volé la plaque d’Antoine ! Je sonne, je sonne mais personne ne répond ! Il est arrivé un malheur, c’est sûr !

Arrêtez de me regarder comme si j’étais folle ! C’est Antoine ! Venez m’aider ! Mon sac, vous n’auriez pas vu mon sac ? J’ai toute ma vie dedans vous savez ! Je le connais ce brave homme. Il m’a vendu les poires tout à l’heure. Il appelle, certainement pour prévenir Jean. Je n’aurai pas le temps d’acheter des tartelettes. Tant pis pour mes poires. Vous les voulez ? Je ne sais plus pourquoi je les porte dans mon cabas. La tête me tourne, je suis fatiguée.

Ma belle robe blanche m’habille d’une caresse et me chuchote une vie de bonheur et de félicité. La plus jolie mariée de Cabourg disait mon père ! Ah mais je les reconnais ces deux-là ! Vous m’emmenez à l’église, c’est bien ça ? Mais je ne veux pas de votre châle, je veux retrouver Jean, à l’église ! Nous allons nous marier !

Taisez-vous ! Non, ne dites pas ça ! Ne recommencez pas à m’ennuyer ! Vous dites des sottises ! Jean n’est pas mort et Antoine n’a pas déménagé ! C’est faux ! Et ne me touchez pas ! Ce n’est pas une chemise de nuit, c’est ma robe de mariée ! Mon sac ! Ils l’ont trouvé sous mon oreiller, drôle d’endroit tout de même. Je le serre contre moi.

Nous serons à la maison de retraite juste à temps pour le déjeuner, me dit gentiment le petit roux en m’aidant à monter dans la voiture.

Mais une question me brûle les lèvres :

‒ Mon sac ! Vous avez vu mon sac ? J’ai toute ma vie dedans vous savez ! Vous l’avez vu ?

2 commentaires sur “La mariée de Cabourg

    1. Une jolie manière de décrire la fin de vie et le grand blanc qui frappe… Vivre en n’étant plus, c’est vraiment terrible, et cette nouvelle si juste m’avait beaucoup marquée !

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