« A l’angle du boulevard Saint-Germain et de la rue de Solferino, un régiment de cuirassiers qui regagnait au pas l’Ecole militaire força Lahrier à s’arrêter. Il demeura les pieds au bord du trottoir, ravi au fond de ce contretemps imprévu qui allait retarder de quelques minutes encore l’instant désormais imminent de son arrivée au bureau, conciliant ainsi ses goûts de flâne avec le cri indigné de sa conscience. Simplement – car l’énorme horloge du ministère de la Guerre sonnait la demie de deux heures -, il pensa : – Diable ! encore un jour où je n’arriverai pas à midi.«
Découvert sur une étagère du gîte où nous avons passé les vacances, ce livre a fait mon bonheur entre Noël et le Nouvel An ! Un pur bijou de cynisme, d’ironie et de (pas si) gentille caricature de l’administration française… L’histoire est celle de Lahrier, employé à la Direction des Dons et Legs, qui consacre ses journées à essayer d’en faire le moins possible : entre sa jolie maîtresse, le beau temps et les dossiers ennuyeux, sa motivation diminue au fil du temps, et la fréquentation de ses collègues n’est pas faite pour le rendre plus assidu !
« Tu vas voir, c’est très curieux. Les uns (ce sont les rédacteurs) rédigent des lettres qui ne signifient rien ; et les autres (ce sont les expéditionnaires) les recopient. Là-dessus arrivent les commis d’ordre, lesquels timbrent de bleu les pièces du dossier, enregistrent les expéditions, et envoient le tout à des gens qui n’en lisent pas le premier mot. Voilà. Le personnel des bureaux coûte plusieurs centaines de millions à l’Etat. […] Pour rien. Et ça a le précieux avantage d’enrayer la marche d’affaires qui iraient toutes seules sans cela.«
Et ces affaires ne risquent pas de s’améliorer grâce aux personnages secondaires, tous plus truculents les uns que les autres, une vraie galerie de caractères incroyablement absurdes ! Ainsi de Letondu (que vous retrouverez ci-dessous) « parti à pérorer tout seul et discourant touchant les turpitudes humaines. D’abord hésitante, vagabonde, sa folie chaque jour grandissante s’était venue, enfin et définitivement, fixer en un chaos d’âpre misanthropie qu’une admiration désordonnée de l’Antiquité compliquait, sans que l’on sût pourquoi.«
Ce récit drôle, enlevé, très très bien écrit – Courteline a un style très marqué de son époque mais éminemment agréable à lire – se dévore d’une traite et l’on rit de bon coeur aux déconvenues de ces différents fonctionnaires, et en s’apitoyant sur le sort de cette pauvre direction des Dons et Legs qui semble définitivement condamnée avec cette bande de branquignoles à son bord… jusqu’au retournement de situation final complètement ubuesque que je vous laisse – une fois n’est pas coutume – découvrir dans la vidéo ci-dessous !!
Extrait de Messieurs les Ronds-de-cuir, film d’Henri Diamant-Berger (1959) avec Jean Poiret, Michel Serrault, Philippe Clay, Paul Demange
En bref, un classique de la littérature française à lire le plus vite possible !
Bonne soirée !
Anne Souris
Bonsoir Anne Souris, je découvre la couverture et le titre du récit de Drieu la Rochelle et j’ai hâte que vous nous en parliez !
En ce moment je lis » Du domaines des murmures » de Carole Martinez …et je suis bouleversée ! Je vous en parlerai aussi si vous le voulez bien … Bonne soirée !
Bonsoir Rina ! Je vais essayer de vous parler du Drieu La Rochelle cette semaine !! Et je publierai avec joie votre critique du Domaine des murmures, si vous avez envie d’en parler ? Quant à Courteline, son style est en effet aussi caustique que celle de Flaubert ! Avec des situations comiques qui m’ont fait penser à Feydeau. Bonne soirée !
J’ai également apprécié votre critique de Courteline dont le style me semble aussi croustillant que la verve de Flaubert incarnée par Bouvard et Pécuchet !
J’ai lu ce roman il y a plus de 20 ans et je ne m’en souviens plus du tout mais j’avais aimé et apprécié le causticité de Courteline !
Bonsoir Bianca, il faut vite le relire alors, pour rire un peu ! « Causticité » est le terme parfait pour décrire le style de Courteline ! Bonne soirée !!