Au fil de mes lectures

Quand l’empereur était un dieu – Julie Otsuka

Otsuka« La pancarte avait fleuri du jour au lendemain. Sur les panneaux d’affichage, sur les arbres, au dos des bancs installés aux arrêts d’autobus. Placardée à la vitrine du bazar Woolworth’s. Placardée à côté de l’entrée de la YMCA. Agrafée sur la porte du tribunal d’instance et clouée, à hauteur d’homme, sur chaque poteau téléphonique le long d’University Avenue.« 

Encore une fois, Julie Otsuka fait revivre sous nos yeux l’histoire de la communauté japonaise aux Etats-Unis. Avec toute la pudeur et la sensibilité qui caractérisent son style (et qui sont parfaitement traduits par Bruno Boudard), elle dessine avec justesse, cynisme et tendresse le terrible exode – la déportation même – imposé aux ressortissants japonais vivants aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Envoyés à l’autre bout du pays via des trains bondés aux volets fermés, les familles restèrent parquées dans des camps pendant des années, sans nouvelle de leurs familles et dans des conditions plus que précaires. Vieillards, femmes et enfants (les hommes étaient emprisonnés ailleurs) durent s’habituer à supporter cette vie qui n’en était plus une, à garder la raison lorsque tout semblait irrationnel et à espérer pouvoir un jour rentrer chez eux la tête droite, ayant donné par leur calvaire la preuve de leur loyauté à leur pays d’adoption.

« Chaque semaine, ils entendaient circuler de nouvelles rumeurs. On allait mettre les hommes et les femmes dans des camps séparés. On allait les stériliser. On allait leur retirer leur citoyenneté américaine. On allait les emmener en haute mer pour les exécuter. On allait les envoyer sur une île déserte et les y abandonner. On allait tous les déporter au Japon. On ne les autoriserait jamais à quitter l’Amérique. On allait les garder en otage tant que tous les prisonniers de guerre américains jusqu’au dernier ne seraient pas rentrés sains et saufs au pays. On allait les confier à la garde des Chinois dès que la guerre serait terminée. « On vous a amenés ici pour votre propre protection », leur avait-on assuré. C’était dans l’intérêt de la sûreté nationale. C’était une question de nécessité militaire. C’était pour eux l’occasion de prouver leur loyauté.« 

Après un roman sur l’arrivée des femmes japonaises aux Etats-Unis au XIXe siècle, Julie Otsuka nous livre là un autre pan, mal connu, en tout cas en ce qui me concerne, de l’histoire du XXe siècle. Et ce récit, conté par une femme et ses deux enfants, nous renvoie à nos propres égoïsmes et nos propres lâchetés, à notre peur de voir notre petit confort voler en éclats.

« Aux fenêtres des maisons de notre quartier, nous apercevions les visages de nos anciens amis et voisins. […] Ils nous avaient tous vus partir, au début de la guerre, s’étaient tous cachés derrière leurs rideaux pour nous regarder descendre la rue avec nos énormes valises bourrées d’affaires. Mais pas un seul, ce matin-là, n’était sorti pour nous dire au revoir ou nous souhaiter bonne chance, ou encore nous demander où nous allions (nous l’ignorions). Pas un seul ne nous avait fait signe de la main.« 

Et dans la tête d’un petit garçon de 7 ans – un âge auquel la seule question que les petits garçons devraient se poser se résume à choisir comme métier pompier ou chevalier ! – quand se bousculent toutes sortes de questions, seuls les cauchemars apportent des réponses. « Parfois, il entendait le vent souffler à travers les buissons d’armoise et il se souvenait alors qu’il était dans le désert, mais sans parvenir à se rappeler depuis combien de temps ou pour quelle raison il s’y trouvait. Parfois, il avait peur d’avoir été envoyé dans cet endroit pour avoir commis une faute horrible, impardonnable. Mais ensuite, quand il tentait de se rappeler ce que pouvait bien être cette horrible et impardonnable faute, aucun acte précis ne lui venait à l’esprit. Cela aurait pu être n’importe quoi.« 

« Et si un jour on vous demande ce qu’en fin de compte je brûlais de dire, j’aimerais, si vous le voulez bien, que vous répondiez ceci : Pardon.« 

Bonne lecture !

Anne Souris

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