« Après le petit-déjeuner, Ki-itchiro Ushioda se retira dans son bureau. Il s’y enferma, prétextant un travail d’écriture urgent. En réalité, rien ne le pressait. Il voulait simplement se reposer au calme un moment et profiter de son dimanche. Ki-itchiro avait cinquante-sept ans depuis peu, ce qui lui laissait un répit jusqu’à la soixantaine. Pourtant, ces deux ou trois dernières années, penser à son âge l’agaçait. Il lui semblait qu’une vois venue de loin lui disait : « Tu sais, tu n’es plus si jeune. » Il ne l’entendait pas continuellement, mais de temps en temps, en certaines occasions. Ce matin-là, la petite voix se manifesta. »
Bonsoir mes p’tites souris ! Mari chéri étant absent pendant deux semaines, je vais avoir le temps de vous parler des quelques livres que j’ai lu récemment ! Parce que sinon, je dois vous avouer que le temps me manque, et que même si je pense beaucoup à vous et me dis que j’ai vraiment beaucoup de choses à vous raconter, et bien… je n’ai tout simplement pas le temps. Ou quand j’ai le temps, je n’ai pas le courage. Bref. Vous me pardonnez ?
Aujourd’hui, je vais vous faire faire un grand voyage. Vous ai-je déjà parlé de mon amour pour la littérature japonaise ? Non pas que je prétende être une spécialiste, ce serait un mensonge éhonté, mais je suis particulièrement sensible à l’atmosphère si particulière qui règne sur les romans nippons (pas de vantardise dans l’utilisation de cet adjectif, mais un simple plaisir à ne pas avoir besoin d’une périphrase pour éviter la répétition… Et oui, je connais vos exigences…), atmosphère faite de lenteur et de douceur ouatée, de descriptions poétiques et de relations humaines douloureuses.
« En vieillissant, on commence à comprendre les beautés de la nature. Celle d’une fleur est évidente pour tout le monde et à tout âge. Les jeunes feuilles sont d’une beauté plus délicate et, si on ne les observe pas attentivement, on risque de l’ignorer. Chacune contribue à former la masse compacte d’un arbre. Chaque arbre à son tour forme une masse de verdure, chacune d’un vert différent des autres. Ces masses se superposent, se mélangent et composent une véritable symphonie.«
L’histoire est donc celle de monsieur Ushioda, chef d’entreprise ayant plutôt bien réussi. « Il ne s’était jamais préoccupé que de sa réussite financière. Ce n’était pas seulement l’argent, mais son rang social, sa réputation qui l’avaient obsédé. Il aurait voulu posséder tout ce qu’un homme peut posséder et il s’y était employé avec beaucoup d’acharnement. » L’âge venant, il décide cependant de consacrer – assez égoïstement – ses dimanches à la réflexion et à l’introspection. Face aux réactions provoquées par deux articles qu’il a écrit, il décide alors de soumettre à son lectorat un sujet, somme toute banal, sur la disparition des keyakis. Bien mal va lui en prendre ! Ce simple article va provoquer une série de réaction en chaînes, dont les moindres ne seront pas l’apparition d’un ami mort à la guerre vingt-cinq ans avant ou la prose fébrile d’un certain XYZ.
Plus que le simple récit des dimanches d’un Japonais quinquagénaire, le roman d’Inoué nous trace avec finesse et légèreté – comme les coups de pinceaux d’une estampe – les changements d’une société très codifiée, dans laquelle les rites et les traditions sont peu à peu diluées dans l’indifférence générale : « il ne s’était passé que vingt-cinq ans depuis la fin de la guerre, mais aussi bien les hommes que leur façon de vivre avaient complètement changé. Quelques centaines d’années s’étaient tout d’un coup envolées. »
Amateurs de cynisme et d’ironie mordante, courez lire ce livre ! Ce grand, cet immense auteur qu’est Inoué vous charmera avec sa prose vive et satyrique et vous vous régalerez des aventures et mésaventures de monsieur Ushioda, et le verrez grandir en humanité.
« Les imbéciles sont légions sur cette terre. Autrefois il y en avait moins. En empoisonnant les rivières, ils ont rompu le pacte entre l’homme et les rivières. En coupant les arbres, ils ont rompu le pacte qui les liait aux arbres. En arasant les montagnes, ils ont rompu le pacte qui les liait aux montagnes. Ils sont devenus les ennemis de la nature. Ils peuvent s’attendre à ce qu’elle se venge. Autrefois, les hommes avaient le coeur plein de bonté parce que la nature les protégeait. Ils voyaient un arbre ou une montagne et les trouvaient beaux. Aujourd’hui, s’ils les regardent, c’est seulement en se demandant combien cela peut rapporter. Il est, certes, nécessaire de bâtir des logements. Je demande seulement qu’on cherche comment y parvenir sans dégrader la nature. Comment l’homme est-il devenu assez arrogant pour se croire le seul être vivant ? Les montagnes, les rivières et l’herbe aussi sont des êtres vivants. Depuis la nuit des temps, ils ont vécu en bonne entente, s’entraidant et prospérant, et voilà qu’aujourd’hui l’homme a rompu cette belle harmonie. N’est-il pas normal que la nature nous le reproche ? »
Bonne lecture !
Anne Souris
Traduction : Jean-François Laffont et Tadahiro Oku
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