« 3 septembre 1939. La dernière minute de paix s’égrenait. Papa et moi regardions Maman creuser notre abri antiaérien. – Quel formidable bout de femme ! dit Papa. – Et qui ne cesse de rapetisser, ajoutai-je. Deux minutes plus tard, on entendit à la radio un certain Chamberlain qui faisait des imitations de Premier ministre. « A partir de onze heures, nous serons en guerre contre l’Allemagne. » (Le « nous » m’a beaucou plu.) »
Voici, chers rongeurs de mon coeur, un livre absolument, délicieusement et absurdement hilarant. Spike Milligan, équivalent anglais de Desproges et Coluche, nous offre là sa version des combats de la Seconde guerre mondiale et sa participation à l’effort patriotique. Ces récits de guerre, en trois tomes, dont c’est ici le premier, est son oeuvre la plus connue en Grande-Bretagne et il est facile de comprendre pourquoi dès les premières pages.
Dans un style résolument loufoque, Spike nous plonge dans les méandres de l’administration militaire, dans les invraisemblances du quotidien des régiments et les aléas de la vie de garnison. « Un des meilleurs moyens de se faire « gnoufer » était de ne pas saluer les officiers. « Ce n’est pas l’officier que vous saluez, c’est l’uniforme de l’armée de Sa Majesté. » Pour l’artilleur Stover, cette formule devint parole d’Evangile. Le matin, quand il allait réveiller le lieutenant Budden en lui apportant sa tasse de thé, il se retournait pour faire face à l’uniforme de son supérieur, suspendu au mur, le saluait et ressortait. »
D’un humour à toutes épreuves, même si la finesse n’est pas toujours au rendez-vous, le regard acéré et irrévérencieux de l’auteur se pose avec détachement et flegme sur tous les événements historiques dont il est témoin et toutes les aventures qui lui tombent sur le coin du casque, récit teinté par moments d’une gravité et amertume cependant toujours rapidement nuancées par une pointe d’ironie : « Nous partions à la guerre. En reviendrais-je seulement ? Aurais-je peur ? Etais-je assez costaud pour survivre à un projectile allemand tiré à bout portant ? Etais-je vraiment capable d’enfoncer une baïonnette dans le corps d’un de mes semblables – de la faire pivoter – et de la ressortir ? Car enfin, je vous le demande, qu’allaient en penser les voisins ? »
Et défilent ainsi sous nos yeux les souvenirs de ces mois si étranges où Spike s’entraînait à la guerre, tout en montant un orchestre de jazz et en faisant danser les officiers, sur terre et sur mer. Car c’est en Méditerranée que s’achève ce premier tome, à Alger, pour combattre aux côté des Américains : « Ce soir-là, au coucher du soleil, tout le monde se rassembla autour du commandant Chaterjack sur le pont-promenade et chanta de vieilles chansons. La mer était paisible, les navires avançaient à vitesse réduite, tandis que les accents d’anciennes mélodies flottaient au-dessus des eaux. La nostalgie était à son comble. Tous les Allemands qui écoutaient durent en être frappés de terreur. »
Si vous doutiez qu’il puisse exister un livre drôle sur cette période de l’Histoire, n’hésitez pas une seconde de plus et courez vous procurer ce petit bijou drôle et loufoque.
Bonne lecture !
Anne Souris
Traduction : Béatrice Vierne