Au fil de mes lectures

Casimir mène la grande vie – Jean d’Ormesson

dOrmesson3« Vous vous demandez peut-être, je vous entends d’ici, c’est une manie chez vous, pourquoi j’écris ce livre. Je vous donnerai, pour le même prix, deux réponses au lieu d’une. Première réponse : je vous emmerde. Voilà une bonne chose de faite. J’espère qu’elle vous monte à la gorge et qu’elle vous en bouche un coin. Deuxième et dernière réponse et, s’il vous plaît, n’y revenez pas : j’écris ce livre parce que mon grand-père m’a demandé de l’écrire. C’est la meilleure des raisons. »

Excellent, excellentissime Jean d’Ormesson, qui sait à chaque fois nous trouver là où nous l’attendons le moins ! Comme sa plume me manque, son ironie mordante, son regard si détaché et pourtant profondément charitable sur le monde. Lui seul était capable d’aimer aussi profondément le genre humain tout en percevant de manière parfaitement lucide tous ses petits travers, ses lâchetés, ses petitesses.

Et le grand homme nous offre ici, dans un roman particulièrement savoureux, drôle et entraînant, l’histoire la plus loufoque et irrésistiblement surréaliste qui puisse être. Imaginez plutôt un groupe formé d’un vieillard aristocratique grognon et cynique, représentant la Vieille France dans toute sa splendeur, son brave petit-fils Casimir un peu falot, pas très brillant mais aux ressources insoupçonnées, son exceptionnelle cuisinière Adeline et un membre de l’Institut, le professeur Amédée Barbaste-Zillouin, érudit travaillant depuis des années sur la dispute du Filioque et regrettant l’échec retentissant du seul livre qu’il ait jamais publié, un roman historico-pornographique. A ce groupe déjà fort disparate vont s’ajouter deux amis de lycée de Casimir : Eric, trotskyste convaincu, et Leila, jeune kabyle aux yeux verts.

Et c’est là la fondation du Groupe, organisation secrète tenant tout à la fois des aventures « de Tintin, de Pardaillan, d’Arsène Lupin, de don Quichotte, de Cyrano de Bergerac, de Robin des Bois et de la bande à Bonnot » : leur but était simple, rétablir l’ordre et la justice dans un monde pourri, unis dans « un commun mépris pour le présent, si blafard et si veule, et pour la démocratie libérale. »

Et loin de s’en tenir à de grands discours autour des succulents plats préparés toutes les semaines par Adeline, notre bande de Pieds-Nickelés va donc s’attaquer à une entreprise de grande envergure et se constituer en organisation révolutionnaire secrète luttant pour plus de justice contre une société sans principes, sans tolérer pour autant aucune forme d’enrichissement personnel.

« Nous lâchâmes tout. Tout ce qui faisait la loi, les règles, les habitudes, les convenances, nous le lâchâmes. Nous larguâmes les amarres. C’était le temps qui voulait ça. Le vent se levait. La navigation devint vive, et presque aventureuse. En quelques mois, le Groupe attaqua une bonne douzaine de boutiques ou d’entreprises qui, à un titre ou à un autre, ne se conduisaient pas bien. […] Nous prenions leur argent à des voleurs, à des avares, à de bas ambitieux, à des calculateurs, à des méchants de tout poil. Nous punissions les vices. Nous étions le bras armé de la sainte Providence et de la fureur populaire.. »

Et les actions du Groupe, loin de s’arrêter là, vont bientôt, à la demande du Gouvernement, des agences de renseignement de tous pays et même du Pape, dépasser les frontières et intervenir secrètement pour résoudre des conflits partout dans le monde, renverser des dictateurs ou secourir des compatriotes dans le besoin.

Quelle excellente surprise que ce roman de Jean d’Ormesson, qui réussit le coup de génie de nous surprendre là où on ne l’attend pas… Ce récit est un pur délice, tellement abracadabrantesque que l’on ne peut le lâcher avant de connaître le fin mot de l’histoire. Et, à son habitude, l’immense érudit qu’il était émaille son récit d’apartés finement amenées et délicieusement hors-sujet : « Voilà que le doute m’envahit : peut-être avez-vous réussi à survivre jusqu’ici dans l’ignorance des tropes ? Les tropes sont des figures de style. La catachrèse est un trope, la métonymie est un trope, la synecdoque est un trope, l’hypallage est un trope, la syllepse est un trope, la métaphore est un trope. Et le pléonasme est un trope. Le propre de l’oxymoron, qui est en quelque sorte le contraire du pléonasme, est de combiner des termes contradictoires. Une nuit lumineuse est un oxymoron. De haineuses amours en sont un autre. »

Bref, vous l’aurez compris, ce roman a été une découverte coup de coeur et je ne peux que vous recommander de filer vous procurer les aventures de Casimir et sa bande car, ainsi que le confia son grand-père à Casimir lorsqu’il lui recommanda de conter leur histoire : « la littérature est faite pour ça : elle n’a jamais cessé de transformer des rêves en réalité, elle pourra bien, pour une fois, transformer un peu de notre vie réelle en fiction et en rêves. »

Bonne lecture !

Anne Souris

2 commentaires sur “Casimir mène la grande vie – Jean d’Ormesson

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