« Dans une cage suspendue à côté de la porte, un perroquet vert et jaune n’arrêtait pas de répéter : » – Allez-vous en ! Allez-vous en ! Tout va bien ! » Il parlait un peu l’espagnol, , et aussi une langue que personne ne comprenait, sauf peut-être l’oiseau moqueur qui, dans une cage accrochée de l’autre côté de la porte, sifflait à la brise ses notes flûtées avec une obstination exaspérante. Monsieur Pontellier, qui ne pouvait pas lire son journal en paix, se leva et poussa une exclamation, une expression de dégoût sur le visage.«
Pour ceux d’entre vous qui me connaissent dans la vie réelle, vous comprendrez sans peine le clin d’oeil qui m’a poussé à acheter ce roman mis en avant dans la librairie de mon lieu de vacances. Fort bien m’en a pris, puisque j’ai ainsi découvert un auteur absolument enchanteur, qui aurait pu être le fille spirituelle d’Edith Wharton et Gustave Flaubert !
Kate Chopin a d’Edith Wharton ce rythme lent et tranquille, s’accordant si bien au mode de vie de la haute société bourgeoise américaine de la fin du XIXe siècle, cette écriture aussi fluide et élégante que les tenues des femmes qui évoluent entre les pages : « Des odeurs rares et étranges flottaient dans l’air – celles de la mer et des herbes, de la terre fraîchement labourée, mêlées au parfum capiteux d’un champ de fleurs blanches à proximité. Mais la nuit était légère sur la mer et la terre. L’obscurité ne pesait rien ; il n’y avait pas d’ombres. La clarté blafarde de la lune s’était posée sur le monde tel le doux mystère du sommeil.«
De Flaubert, Kate Chopin a emprunté la mélancolie et le mal-être d’Emma Bovary. Comment ne pas comparer ces deux femmes provinciales, mal mariées à des hommes ne comprenant pas leurs rêves et leurs désirs, tombant amoureuses à deux reprises sans que cet amour ne leur apporte le bonheur qu’elles espéraient… « Elle n’aurait pas su dire pourquoi elle pleurait. […] Un sentiment indescriptible d’oppression, venu sans doute d’un coin obscur de sa conscience, emplissait tout son être d’une vague angoisse. C’était une ombre, une brume traversant la claire journée d’été de son âme. C’était étrange et nouveau ; c’était une humeur. Assise là, elle ne se répandait pas contre le destin qui avait conduit ses pas sur le chemin qu’ils avaient pris. Elle s’offrait simplement une bonne crise de larmes.«
L’immense différence entre Kate Chopin et ses deux contemporains est une sensualité affirmée, en parfaite adéquation avec l’atmosphère de la Louisiane mais absolument scandaleuse dans le carcan des conventions sociales. Edna peut ainsi affirmer « je cèderais tout ce qui n’est pas essentiel ; je donnerais mon argent, je donnerais ma vie pour mes enfants ; mais je ne me donnerais pas moi-même. Je ne peux pas l’exprimer plus clairement ; c’est seulement une chose que je commence à comprendre, qui se révèle à moi peu à peu« , cet éveil des sens va lui procurer une illusion de plénitude et de bonheur mais va aussi la briser et l’immoler sur l’autel de sa maternité et de son sens des convenances.
« Le commencement des choses, celui d’un monde surtout, est forcément vague, embrouillé, chaotique, extrêmement troublant. Combien peu d’entre nous parviennent à émerger d’une telle genèse ! Combien d’âmes périssent dans ce tumulte !«
Bonne lecture !
Anne Souris
Merci, Anne-Souris . C’est plus que tentant . Belles vacances !
Très belle découverte pour moi en tout cas ! Bonnes vacances à vous aussi, chère Rina !