« On dit que les yeux s’habituent à l’obscurité, mais ici, dans ce petit réduit au fond de la cave, on n’y voit vraiment rien. La dernière fois j’ai compté à haute voix, je suis arrivée à plusieurs centaines et je n’ai toujours pas eu le droit de sortir, alors je ne le fais plus.
« Je n’ai pas peur. » Je le dis tout haut et le bruit me fait sursauter. « Je n’ai pas peur, parce que j’ai déjà neuf ans et c’est grand, et les grandes filles n’ont peur de rien. » Cela ne devrait plus durer trop longtemps. Maman va sûrement descendre pour me laisser sortir. Je lui dirai pardon et lui promettrai de ne plus jamais recommencer.
Je ne suis pas sage. Pas comme Alexandre. C’est ce que dit souvent maman. » Paru au mois de juin aux Editions Héloïse d’Ormesson, « Viens ici que je t’embrasse » est le deuxième roman de la néerlandaise Griet Op de Beeck.
Dans ce roman si intimiste qu’il pourrait passer pour un huis-clos, l’auteur nous fait entrer dans la vie de Mona, à l’instant où, punie par sa mère, elle est enfermée dans un petit réduit au fond de la cave. Dans la tête et le cœur de cette enfant si précoce se livre une bataille entre l’amour qu’elle se doit de porter à sa mère, sa volonté désespérée d’être une petite fille parfaite et le sentiment diffus, sournois et tenace que le comportement de sa mère n’est pas normal. Et lorsque sa mère meurt brutalement dans un accident de voiture, Mona va enfouir ce conflit au plus profond d’elle-même pour tenir, pour être la petite fille sage et sans histoire que sa nouvelle jeune belle-mère mérite. « Quand les gens me regardent gentiment, je deviens sensible. Et être sensible, ce n’est pas bon dans la vie, c’est ce que disait toujours maman.«
Le lecteur accompagne Mona pendant les deux premières années qui suivront le décès de sa mère, puis la retrouve 13 ans plus tard et 23 ans plus tard. Dans le portrait qui s’esquisse sous ses yeux apparaît une femme qui se perd dans sa volonté de toujours répondre aux attentes des autres, qu’elles soient exprimées ou tacites, légitimes ou complètement dysfonctionnelles.
Ce magnifique roman initiatique laisse un goût de cendre et un obscur sentiment de gâchis face à cette vie brisée par des adultes si peu à l’écoute d’une enfant perdue. « Je me dis parfois que la Vérité avec un grand « V » n’existe pas, il n’y a que différentes versions des faits qui en disent long avant tout sur les différentes personnes qui les racontent, et que les gens n’entendent que ce qu’ils peuvent, ou veulent entendre, et que parfois les versions se recoupent. «
Mais c’est aussi une histoire de résilience, de pardon et d’amour, d’amour de soi reconquis à la force du poignet. Car, comme le dit si bien Mona, « ce qui nous caractérise, c’est aussi ce que nous sommes, de même que ce que nous avons perdu ».
Bonne lecture !
Anne Souris