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Alain Mabanckou : «Imposer une couleur de peau dans la création est une forme de ségrégation»

Alain Mabanckou est romancier, poète, éditeur et professeur de littérature francophone à l’Ucla. Directeur artistique du festival «Atlantide. Les mots du monde» et directeur de la collection Points Poésie, il a été, en 2016, le premier écrivain invité sur la chaire de Création artistique du Collège de France.

Il a accordé un entretien au Figaro, disponible pour les abonnés ici. Extraits.

LE FIGARO. – Vous vivez entre la France et les États-Unis, vous suivez de près ce qui se dit autour de la littérature et les polémiques récentes. Une question complexe: quelle est la couleur de la littérature?

Alain MABANCKOU. – En réalité je ne me suis jamais posé cette question, je suis un véritable oiseau migrateur, une feuille détachée de l’arbre et qui voyage au gré du vent. Dans mon esprit, je me suis toujours infiltré dans l’univers de l’écrivain que je lis. […] La littérature est le seul territoire qui ne nécessite pas de sauf-conduit pour entrer et, celles et ceux qui nous imposent des couleurs corrompent, hélas, le plus grand héritage du genre humain : le pouvoir de l’imaginaire.

Une traductrice néerlandaise a dû renoncer à traduire la poétesse afro-américaine Amanda Gorman parce qu’elle n’était pas noire, qu’en pensez-vous?

Ma position est claire en la matière : imposer une couleur de peau dans la création équivaut à une forme de ségrégation. […] On ne peut pas lutter contre l’exclusion en réinventant de nouvelles formes de marginalisations. Le communautarisme dans la traduction signifierait alors qu’on ne pourrait échanger et parler qu’avec des individus qui sont supposés être comme nous. Cela n’est pas ma conception de la création.

Quand on est écrivain, peut-on se définir comme étant un écrivain noir, blanc, femme, jeune, homo…?

[…] Qu’il soit noir, blanc, femme, jeune, homo, etc., l’écrivain propose sa version de notre humanisme. Peu importe qu’elle ne soit pas la nôtre car dès qu’on entre dans la littérature, on signe le pacte de la subjectivité et du respect de l’imaginaire de chacun. Dans ces sens, l’écrivain ne se définit pas, il est à prendre ou à laisser.

[…]

Qu’a représenté le mouvement littéraire de «la négritude» initié par Aimé Césaire, entre autres?

Le courant de la négritude a traversé tous les domaines de la création et de la pensée à partir des années 1930 en France chez les jeunes étudiants noirs. En littérature, les initiateurs étaient des poètes, et ils sont aujourd’hui des classiques de la poésie contemporaine d’expression française: Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, entre autres. L’inspiration est assurément venue des États-Unis où les Afro-Américains, dans l’entre-deux-guerres, avaient imposé une véritable révolution culturelle dite «Harlem Renaissance», touchant tous les arts et propulsant la littérature noire américaine au-devant de la scène. Certains des auteurs américains émigrèrent vers la France (Richard Wright, James Baldwin) où les critiques allaient parler de «Harlem-sur-Seine». La rencontre à Paris des Africains et des Afro-Américains aura un impact considérable qui débouchera avec la négritude qui a été l’une des plus grandes idéologies destinées au réveil de la conscience des peuples africains alors sous la domination coloniale. Si la négritude a hâté les indépendances africaines, le courant n’a jamais été grégaire, enfermé dans une coquille comme le rappelle Aimé Césaire dans Le Cahier d’un retour au pays natal : «Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale.» Et ces paroles résonnent encore aujourd’hui.

[…]

Le premier Congrès des écrivains et artistes noirs s’est tenu en 1956 à Paris. Etait-il une opposition à une sorte de littérature blanche?

Ce congrès de 1956 n’était pas une assemblée destinée à s’opposer aux Blancs – Pablo Picasso a d’ailleurs signé l’affiche ! Le Congrès en appelait plutôt à une relecture des rapports des civilisations, et surtout à la reconnaissance de l’humanité des peuples noirs. En somme, une partie de l’humanité a pendant longtemps été lésée, dominée, exploitée par une autre. C’est pour qu’il s’est déroulé à l’Amphithéâtre René Descartes, à la Sorbonne, lieu qui abrita en 1948 la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Le symbole était fort. […]

Comme il a fallu changer le titre du roman Dix petits nègres, faudrait-il rebaptiser le beau premier roman de votre ami Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer?

Non, je ne suis jamais prisonnier du moment et de la démagogie ambiante. J’ai un roman qui s’intitule Les petits-fils nègres de Vercingétorix. On ne pouvait pas mieux faire ! En vérité le mot nègre est un problème propre aux Occidentaux qui, depuis des siècles, essaient de maquiller une turpitude qui leur collent à la peau, excusez le jeu de mot ! Ils ont fait un bébé dont ils ont du mal à nier la paternité, et ce n’est pas à moi de les aider. (Rires)

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