About Jane

Austen Power !

Les Éditions Baribal sortent en octobre prochain une nouvelle collection, JANE, collection de romans placés sous le patronage de Jane Austen. Vous me connaissez… Je pouvais difficilement résister à en savoir plus ! Voici donc, en exclusivité pour Ma Bibliothèque Idéale, un entretien avec Phalène de La Valette, directrice de la collection et avec Clémentine Beauvais (qu’on ne présente plus ! 😍) qui a traduit Emma !

Bonjour Phalène, vous êtes directrice de la collection JANE. Quelle est la genèse de ce projet ?

L’idée a germé à l’époque du succès de Downton Abbey. J’ai retrouvé dans cette série le plaisir que j’avais en lisant les romans de Jane Austen dans mon adolescence. Après Downton, j’ai voulu en quelque sorte prolonger l’expérience en lisant les romans de son créateur, Julian Fellowes : Belgravia, Snobs, Passé imparfait… il n’y en a hélas qu’une poignée et après les avoir tous lus, j’ai cherché d’autres romans du même genre. Et j’ai eu beaucoup de mal à en trouver. L’offre est très éparpillée, mal identifiée et de qualité très inégale. Je me suis dit qu’il manquait une collection qui rassemble les romans qui cultivent cet esprit que je définis comme “austenien” : un regard perçant sur la nature humaine mais jamais cynique, une grande finesse d’écriture, un humour délicieux…

C’est ainsi qu’est née la collection JANE qui publiera des romans étrangers et français ! Et comme nous l’avons baptisée JANE, il nous semblait naturel de commencer par un hommage à Jane Austen en offrant à cette dernière une retraduction qui puisse lui faire honneur. Je ne dis pas que les traductions existantes sont mauvaises : elles ont chacune leurs qualités spécifiques. Mais il manquait une traduction qui rende vraiment justice à la vivacité et à l’ironie mordante de l’original. Et c’est ça, entre autres, qu’apporte Clémentine Beauvais ! Grâce à la plume pétillante de Clémentine, Jane Austen se révèle comme jamais et c’est un bonheur aussi bien pour ceux qui l’avaient déjà lue que pour ceux qui la découvriront à cette occasion.

Jane Austen est surtout connue en France pour Orgueil et Préjugés, par le biais de la série BBC de 1993 et le film de 2005 de Joe Wright. C’est un petit risque d’avoir choisi Emma comme premier roman de la nouvelle collection. Pourquoi ce choix ?

C’est d’autant plus risqué qu’Emma est le plus long de tous les Austen et donc le plus coûteux à traduire ! Pourquoi prendre ce risque ? Parce que nous sommes convaincues, Clémentine et moi-même, que ce roman est une pépite qui mérite d’être davantage appréciée à sa juste valeur. Emma est moins “évident” qu’Orgueil et préjugés dont l’héroïne suscite tout de suite l’admiration. On pourrait faire un rapprochement avec les sentiments que suscitent les différentes protagonistes des Quatre filles du Dr March : Jo est la plus populaire, celle qu’on a envie d’être (un peu comme Elizabeth Bennet), alors qu’Amy agace la plupart des lecteurs (comme Emma). Mais on peut s’interroger sur ce qui fonde cet agacement. La réalisatrice Greta Gerwig, qui a récemment adapté les Quatre filles du Dr March, a une théorie : elle pense que si Amy énerve autant, c’est parce qu’elle ne se conforme pas à ce qu’on attend d’elle. Elle ne correspond pas à la figure romanesque de l’héroïne, à l’idéal qu’on s’en fait. Elle ne cherche pas à être “aimable”.

Emma non plus. C’est la seule héroïne austenienne qui ne veut pas se marier à une époque où le mariage est pratiquement la seule chose qu’on attend d’une femme. “Je vais prendre une héroïne que personne d’autre que moi n’aimera beaucoup”, dit Jane Austen à son propos. N’est-ce pas une belle façon de nous provoquer ?

Vous avez fait un appel à financement participatif. C’est un procédé que l’on voit parfois dans le monde de l’édition mais qui peut paraître étrange, vu de l’extérieur. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette campagne ?

Avec l’explosion des coûts du papier, il devient de plus en plus risqué pour un petit éditeur indépendant de se lancer dans des projets ambitieux. Retraduire un roman de plus de 500 pages et convaincre les lecteurs d’acheter cette version plutôt qu’un poche, c’est un peu de la folie ! En précommandant votre exemplaire sur KissKissBankBank, vous nous aidez à disposer d’un peu de trésorerie pour investir à la fois dans la fabrication du livre (le rendre plus beau et plus quali) et dans sa promotion. Participer à cette campagne de financement participatif, c’est aussi nous donner les moyens de poursuivre la collection JANE et de publier de nouveaux romans ! Alors, si vous aimez ce projet, n’attendez pas pour nous soutenir 😘

Bonjour Clémentine ! Tu as traduit le roman Emma pour la nouvelle collection de Baribal. Dirais-tu que tu es une inconditionnelle de l’œuvre de Jane Austen ?

Je ne sais pas si je dirais ‘inconditionnelle’ parce que la barre est très haute dans la mafia des fans de Jane Austen. Très récemment, l’autrice britannique Katherine Rundell a affirmé que si vous lui donnez une phrase d’Emma, elle est capable de citer la suivante de tête… Même en l’ayant traduit, je n’en suis pas là ! Mais bien entendu, j’aime beaucoup Austen, chez qui on trouve cette rare chose : un énorme plaisir de lecture « pour l’intrigue », allié à une grande qualité littéraire. Et je suis particulièrement friande de son humour et de ses non-dits, ces blancs du texte qui sont souvent ses plus grands moments de commentaire sociopolitique…

« Nouvelle traduction » : ces mots peuvent faire peur et certains m’ont déjà demandé pourquoi il fallait retraduire Austen ou encore quelle serait la plus-value d’une nouvelle traduction. Que peux-tu leur répondre ?

Chaque traduction est, comme le dit le traductologue et écrivain Clive Scott, une « écriture d’une lecture ». En d’autres termes, quand on traduit, on ne fait pas un travail mécanique, on exerce d’abord un travail de lecture et d’interprétation d’un texte, et ensuite on écrit un texte qui va être le plus proche possible de ce ressenti à la fois intellectuel et émotionnel du texte. Il faut absolument revendiquer, assumer, célébrer le fait qu’une traduction est toujours une vision personnelle d’un texte : c’est bien pour ça qu’un texte traduit reste littéraire. Il nous arrive, dit Kate Briggs, « écrit deux fois ». Il est donc normal que cette deuxième écriture, celle du traducteur ou de la traductrice, puisse être faite un nombre infini de fois. Elle va varier selon le sens et la sensibilité (héhé) des traducteur(ice)s. Moi qui suis particulièrement sensible à l’humour chez Austen et à sa manière très impressionnante d’allier légèreté et complexité, j’espère que ma traduction est infusée par cette lecture. Si j’étais plus frappée ou plus inspirée par le sérieux de son analyse politique, nul doute que ma traduction aurait une coloration plus austère, qui ne serait pas du tout une mauvaise chose – juste une autre interprétation. N’importe qui peut se faire une idée de l’intérêt des retraductions en comparant les différentes traductions d’un même texte classique – sans nécessairement se demander ‘laquelle est la meilleure?’, une approche scolaire pas très intéressante, mais plutôt en se disant ‘quelle lecture du texte propose chacune version?’. Chaque retraduction va ouvrir un nouveau tiroir, faire briller différemment telle ou telle phrase, tel ou tel personnage. Il ne faut pas se demander ‘est ce que tel texte a BESOIN d’être retraduit’, mais plutôt ‘qu’est ce qu’on pourrait proposer comme nouvelle lecture en retraduisant ce texte?’

Emma Woodhouse est, en France, bien moins connue qu’Elizabeth Bennet. Quel type d’héroïne est-elle ?

Emma est très différente d’Elizabeth. Il est impossible de détester Elizabeth, ce qui en fait, je trouve, un personnage moins intéressant. Emma est beaucoup plus clivante, parce qu’elle a souvent tort de manière spectaculaire, et très souvent raison de manière très irritante. Mais une fois qu’on a dit ‘Emma est exaspérante’, on peut un peu creuser ; il faut aller plus loin. Emma est exaspérante parce qu’elle est trop intelligente, et qu’elle s’ennuie dans une vie étriquée, pleine de gens qui ne lui arrivent pas à la cheville. Elle cherche à se trouver des distractions, sans avoir jamais vraiment été guidée vers des activités du niveau intellectuel qu’elle mériterait. Elle jalouse la disciplinée et sage Jane Fairfax, sa seule égale intellectuellement, mais qui a compris bien avant elle la valeur du travail et de la rigueur. Elle va peu à peu arriver à maturité en comprenant l’intérêt de se lier avec des gens qui la tireront vers le haut, au lieu de perdre son temps à des entreprises futiles et pour lesquelles elle n’a en vérité aucun don – comme son obsession pour les manigances d’entremetteuse. Sa trajectoire de personnage est éminemment morale, comme toutes les héroïnes austeniennes, mais c’est de loin, je trouve, la plus intéressante, parce qu’elle est beaucoup plus difficile à aimer au début…


Je ne sais pas vous, mais moi cet échange m’a ouvert l’appétit austenien… Je me réjouis par avance de (re)découvrir Emma sous la plume de Clémentine et je file apporter mon petit soutien à la campagne !

Et vous ?

Anne-Sophie

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