« Cette histoire provoqua un petit scandale à l’époque, mais les événements qui suivirent eurent tôt fait de l’effacer de la plupart des mémoires. On pourrait la voir un peu comme un spectacle qui se déroulerait tout entier dans un salon éclairé par des lampes à huile et où, peut-être, brilleraient aussi sur les murs les lueurs mouvantes d’un grand feu de bûches. Dans cet immense salon édouardien, encombré de meubles et où les guéridons disparaissent sous les bibelots et les photographies encadrées, des gens conversent entre eux, les uns assis, les autres debout par petits groupes. Soudain, provenant de la pièce voisine, où personne n’a encore osé s’aventurer, arrive l’éclat violent d’une lumière électrique. S’engouffrant par la porte ouverte, cet éclairage rétrospectif et brutal plonge instantanément le salon dans la pénombre ; les flammes qui dansaient si joyeusement dans la cheminée s’estompent, les cercles de lumière jaune au pied des lampes perdent tout leur éclat (on dirait de l’or assourdi), et les êtres qui sont là, encore visibles malgré tout, nos parents, nos grands-parents, qui appartenaient déjà au passé, nous semblent reculer dans un passé encore plus éloigné, celui de Charlemagne et de ses chevaliers, celui des Sept Dormants à peine sortis de leur immense sommeil. »
Brillante description, n’est-ce pas, mes très chers rongeurs de bibliothèque ? On imaginerait presque assister à cette scène, et voir plonger d’un seul coup un monde entier dans les ténèbres du passé, cette société britannique aristocratique si brillante du début du XXe siècle, que la Première guerre mondiale va emporter comme un fétu de paille et qui vit dans ces années 1910 son chant du cygne. Lire la suite « La partie de chasse – Isabel Colegate »