« Pendant toutes les années de ma triste jeunesse, Huysmans demeura pour moi un compagnon, un ami fidèle ; jamais je n’éprouvai de doute, jamais je ne fus tenté d’abandonner, ni de m’orienter vers un autre sujet ; puis, une après-midi de juin 2007, après avoir longtemps attendu, après avoir tergiversé autant et même un peu plus qu’il n’était admissible, je soutins devant le jury de l’université Paris IV – Sorbonne ma thèse de doctorat : Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel. Dès le lendemain matin (ou peut-être dès le soir même, je ne peux pas l’assurer, le soir de ma soutenance fut solitaire, et très alcoolisé), je compris qu’une partie de ma vie venait de s’achever, et que c’était probablement la meilleure. »
Et nous, chère petites souris, nous comprenons assez rapidement que ce livre ne sera pas le meilleur que nous avons lu de l’année, loin s’en faut – d’où son classement (pour les plus attentifs d’entre vous) dans la catégorie « La liste de mes ennuis ».
Car l’ennui est véritablement le sentiment qui a prévalu pendant toute ma lecture du dernier opus de Houellebecq. Et Dieu sait qu’elle fut longue, cette lecture… et que j’ai plusieurs fois été tentée de balancer le bouquin à l’autre bout de la pièce ! Mais [musique sirupeuse et violons], pour vous, pour vous uniquement et pour pouvoir vous en faire un compte-rendu fidèle et pondéré, j’ai persévéré, et me voilà à présent devant vous, bien peinée, et ne sachant pas par quel bout commencer ma critique.
Je crois que c’est la première fois qu’un livre me déplaît autant. J’ai beau chercher dans toutes les étagères de ma mémoire de lectrice, je n’ai pas le souvenir d’un livre dont aucun aspect ne m’ait plu. C’était mon premier Houellebecq, acheté pour me faire ma propre opinion sur ce livre dont tout le monde parlait, et dont la publication juste avant les attentats de janvier avait eu quelque chose de prémonitoire (selon les médias !). Et bien ce sera aussi mon dernier !
Sur la forme d’abord : je n’ai pas trouvé le style de Houellebecq transcendantal. Il est agréable à lire (certains passages exceptés, j’y reviendrai), alternant phrases sèches et brèves et plus longs développements, dans un français châtié bien qu’assez superficiel. Je m’explique : ce qui m’a le plus frappée, dans sa façon d’écrire, c’est cette impression qu’il se met toujours en retrait par rapport à son livre, comme s’il avait écrit sans y mettre son coeur, ses tripes. Il y a une sorte de détachement, de manque d’empathie assez frappants à mes yeux, un peu comme un poseur qui, tout en parlant, chercherait à étudier l’effet produit par ses paroles sur ses interlocuteurs. Mais après tout, chaque auteur se différencie par son style, et il m’est déjà arrivé d’adorer un livre sans en avoir aimé l’écriture.
Et il est du coup d’autant plus ironique que ce soit justement Houellebecq qui écrive « seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l’émeut, l’intéresse, l’excite ou lui répugne ».
Non, plus que la forme, c’est bien le fond qui m’a posé problème. Passons sur les scènes dignes des romans porno les plus trash qui puissent exister, j’ai fini par les sauter tellement ils me mettaient mal à l’aise. Des habitués de Houellebecq m’avaient prévenue que c’était une habitude chez lui, et que « du Houellebecq sans cul, ça n’existe pas ! ». Soit. Voyons donc cela comme une marque de fabrique salace qui n’apporte rien à l’histoire et encore moins au lecteur, sinon un mépris certain pour un auteur cherchant à appâter ainsi le chaland.
Mais enfin, en dehors de ces passages, quel est l’intérêt de cette histoire ? Comment ne pas mourir d’ennui face aux tergiversations hasardeuses de cet intellectuel, universitaire parisien d’une quarantaine d’années spécialiste de Huysmans ? Huysmans qui, entre parenthèses, ne semble d’ailleurs être qu’un prétexte permettant à Houellebecq de nous sortir par plâtrées indigestes des comparaisons superficielles entre l’oeuvre du romancier naturaliste et l’actualité politique dans laquelle il place son roman.
Venons-en, justement, à cette actualité fictionnelle qui est le point-clé de l’ouvrage, celui qui a fait frémir toute l’intelligentsia parisienne lors de sa sortie en librairie ! Houellebecq ose en effet imaginer l’arrivée au pouvoir en France d’un parti islamiste avec toutes les conséquences (caricaturales) que cela va entraîner : la liberté des universités ? Finie ! Les universités financées par de riches qataris n’auront plus désormais que des enseignants musulmans, logés dans de somptueux appartements de fonction dans les plus beaux quartiers de Paris. L’islamisation de l’enseignement se fera d’ailleurs dès le primaire, avec l’obligation pour tous les enfants de France d’avoir des cours d’instruction islamique dès les plus petites classes. L’école s’arrêtera logiquement à 12 ans et les filles n’auront après bien évidemment pas d’autre choix que de se marier, en devenant la 3e ou 4e épouse d’un type de 30 ans de plus qu’elles puisque, bien sûr, la polygamie aura été légalisée. Plus de jupes, plus de shorts dans les rues, mais des pantalons et tuniques empêchant le narrateur de reluquer les filles, ce qui ne l’empêche pas de fantasmer sur les dessous affriolants de ces dames puisque, c’est bien connu, seules les Orientales savent être sexy, les Occidentales, elles, traînant en jogging crade dès le seuil de leur appartement franchi.
« Vêtues pendant la journée d’impénétrables burqas noires, les riches Saoudiennes se transformaient le soir en oiseaux de paradis, se paraient de guêpières, de soutiens-gorges ajourés, de strings ornés de dentelles multicolores et de pierreries ; exactement l’inverse des Occidentales, classe et sexy pendant la journée parce que leur statut social était en jeu, qui s’affaissaient le soir en rentrant chez elles, abdiquant avec épuisement toute perspective de séduction, revêtant des tenues décontractées et informes. »
C’est d’ailleurs ce qui amènera le narrateur à se convertir à l’islam, afin de bénéficier de plusieurs épouses bien plus jeunes que lui, qui satisferont ses besoins sexuels tout en lui concoctant de bons petits plats… Après le beau chemin spirituel raconté par Abd Al Malik dans son livre, quelle piètre image de l’Islam est donnée là !
Voilà je crois ce qui m’a le plus ennuyée et le plus choquée dans cet ouvrage : une outrance permanente et grossière dans le moindre propos, un mépris germanopratin non déguisé pour tout ce qui ne sort pas des 5e, 6e et 7e arrondissements de Paris (mention spéciale pour les pauvres Lotois (« presque tous des retraités, les autres [donnant] l’impression d’être des travailleurs manuels ») ou un groupe d’étudiants « en jean et en polo […] [avec] ce visage ouvert et fraternel que parviennent je ne sais comment à arborer les jeunes catholiques » qui soit en dit en passant sont assez stupides pour ne rien comprendre à Péguy) et un name-dropping constant qui permet à Houellebecq de donner à son histoire une teinte politico-médiatique réaliste.
Bref, ce roman m’a irrésistiblement fait penser à un de ses romans-feuilletons estivaux que nous sortent régulièrement les grands hebdomadaires, loin, très loin de la « saisissante fable politique et morale » promise par la quatrième de couv’…
Bonne journée !
Anne Souris
Merci pour cette chronique très complète et pertinente. Je n’ai lu qu’un seul livre de Houellebecq, extension du domaine de la lutte, et je n’avais aimé ni le style ni l’univers. Tu as confirmé mes craintes pour celui ci, je vais de nouveau passer mon chemin. Merci tout de même d’être allée courageusement jusqu’au bout pour nous 🙂
Ca me rassure de voir que je ne suis pas seule ! J’entends tellement de gens dire qu’ils ont adoré ce livre…
Anne-Souris , je suis impressionnée par votre critique non pas féroce mais franche, perspicace et …anti-snob ! Et que je partage sans avoir lu le roman car je suis depuis des années prodigieusement agacée par ces écrivains (pseudo)-intellos et à la mode, nombrilistes et condescendants … Grâce à vous, je ne lirai pas ce roman ( mais je n’ai jamais eu envie de lire un Houellebecq, je l’avoue). Je préfère mille fois savourer un roman historique, un Alexandre Dumas, un Agatha Christie…
Comme je suis contente et touchée de vous entendre déplorer : » Quelle piètre image de l’Islam… »! C’est honteux ! Non mais tous ces clichés sont ridicules, c’est de l’inculture ! Ah ces germanopratins, suffisants et arrogants, ils jouissent d’une réputation mondaine surfaite et éphémère. Voilà tout.
Chère Rina, vous ne pouvez pas imaginer à quel point votre commentaire me touche ! Ce petit cercle de l’intelligentsia parisienne m’horripile aussi énormément… J’avais cependant craint d’avoir été un peu trop brutale dans cet article, votre réaction est donc très rassurante ! Bonne soirée, Anne Souris (contente d’être anti-snob !)
Je te trouve très « pondérée » et juste, comme tu as voulu l’être ! Personnellement je n’arrive pas à le lire, tous les livres commencés par le passé me sont tombés des mains alors celui-ci, dont il a fait la promo la morgue et le cynisme aux lèvres, c’est trop pour moi ! Je ne lui accorderai même pas un regard ! Mais je suis contente de lire une chronique honnête comme la tienne ! 🙂
Merci ! Les avis sont très divergents et je viens d’avoir un échange passionnant avec deux lecteurs sur un groupe Facebook, et ils ont un point de vue très intéressant sur ce livre ! Je vais voir avec eux si je peux reproduire leurs commentaires ici !
J’ai adoré ce livre, comme tous ses précédents. Houellebecq est un auteur immensément drôle, ce qui n’est jamais dit ! Quelle acuité dans sa façon sèchement concise de décrire notre époque ! C’est l’auteur qui nous parle des photocopieuses et des barquettes micro-ondables : c’est trivial certes, mais notre lamentable époque est pourtant marquée par tous ces détails minables dont Houellebecq est LE SEUL à nous parler, voire qu’il est le seul à voir. J’ai trouvé ce livre poignant dans la solitude implacable qui s’abat sur le personnage, au statut social pourtant envié. Comment, en tant que femme, ne pas être touchée par cet homme qui finit par se convertir dans l’unique espoir de trouver une consolation féminine que le monde moderne et le féminisme lui refusent ? Pour moi, c’est peut-être bizarre à dire, Houellebecq est un romantique complet. Il a tellement vu la lumière que le monde lui semble inévitablement terne. L’un de ses poèmes écrit en 1992 se termine par ce vers : « Les saisons se succèdent dans le monde extérieur ». J’y pense tous les jours. Dans ce vers éclate surtout en négatif l’existence d’un monde intérieur, infiniment beau et riche, intense, qui est évidemment familier à l’auteur. Quand je lis Houellebecq, je vois de la lumière, de l’amour et de l’espoir qui lui rende d’autant plus insupportable la médiocrité quotidienne. J’ai commencé à lire Houellebecq à 18 ans, il m’a aidée à grandir et à devenir une femme, parce que c’est celui qui m’a fait comprendre ce que c’est que d’être un homme.
Je conçois que commencer par Soumission ne soit pas le plus évident. Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, explique très bien la théorie du marché du sexe qui fait qu’il y a des losers toujours plus rejetés par les femmes (alors qu’avant ces gens se mariaient car il y avait moins de compétition). Il me semble que c’est la violence primitive qui irrigue toute l’œuvre de Houellebecq. C’est l’œuvre d’un homme blessé par les femmes.
Merci beaucoup, Marie, d’avoir accepté de reproduire ici votre commentaire de Facebook ! Merci pour cet avis sur Houellebecq qui va nous permettre d’approfondir notre réflexion !
Je suis tout a fait d.accord avec votre commentaire, je ressens beaucoup de tendresse aussi pour Houellebeq. J’ai la même impression que vous, un homme rejeté a cause de l’époque actuelle.
C’est amusant car je n’ai pas d’opinion » adoré » ou » détesté » sur Soumission. Ce n’est pas un très bon Houellebeq, et il n’a rien a voir avec la Carte et le Territoire que j’ai beaucoup aimé, mais une fois que l’on pousse tous les excès et les démons de l’auteur, dont les scénes culs qui font en effet partie du personnage, Houellebeq est, a mon avis, le seul a disséquer avec autant de pertinence et d’intelligence les maux de notre époque. Le consumérisme, la pensée unique, l’égoïsme, la bêtise. C’est un auteur mal dans sa peau, blessé et a vif, qui ne comprend pas notre monde, et qui pointe avec une précision chirurgicale les plaies actuelles. Avec beaucoup d’humour aussi…un humour triste et désabusé.
Soumission n’est pas le bon roman pour commencer, le Goncourt est meilleur, c’est sur…et puis il y a moins de cul dedans….😊
Et bien décidément il semblerait que je n’ai pas lu le bon pour découvrir Houellebecq !! Je lirai donc La Carte et le territoire !
Je ne suis pas une grande fan de Houellebecq mais j’ai bien aimé ce roman par certains aspects. L’écriture que j’apprécie : on aime ou pas son style mais on peut s’accorder sur le fait qu’il sait manier la langue française et qu’il a un style contrairement à un certain nombre d’auteurs qui se disent écrivain et qui en fait écrivent comme ils parlent, sans style en se contentant de raconter une histoire de manière plate.
Ensuite son analyse de notre société est souvent dure et acerbe mais assez juste malheureusement.
Son anti-héros est très intéressant aussi : ce type assez minable et solitaire, malheureux, vide car sans lien familiaux, amicaux, cultivé et diplômé donc soit disant intelligent selon les critères de notre temps qui finit par se laisser entrainer sans broncher, sans lutter dans cette nouvelle société imaginaire (mais tout à fait possible – d’autres livres « prophétiques » ont pu faire peur ou ricaner mais ont tous une part de vrai) parce que cela l’arrange, parce qu’il y trouve un certain confort et un peu de réconfort.
Évidemment ces scènes obscènes sont inutiles mais participent à la description de ce héros « pauvre » moralement, psychologiquement et spirituellement (pourtant il tente une certaine quête spirituelle qui est vite abandonnée – en est il capable malgré ses capacités intellectuelles ?)
Je trouve que c’est un livre qui donne matière à réflexion au contraire de manière assez subtile d’ailleurs…..
Merci pour ce premier commentaire et bienvenue ! Décidément, ce livre aura prêté à controverse et ne laisse certainement pas indifférent !