« Creuser encore, arpenter ce monde déchiré, déchirant, chercher toujours ce qui le rend meilleur. Chercher le souffle et inspirer avec ceux qui portent cette respiration, qui soulagent le monde. Expirer avec ceux qui ne trouvent pas d’issue, souffler, râler, pester, et vivre encore. Hurler avec eux dans le vide. Et espérer encore, pour ceux qui n’espèrent plus. »

Comment parler de la présence de Dieu lorsqu’on est soi-même agnostique ? Comment parler de la présence de Dieu lorsqu’on travaille comme reporter de guerre et qu’on doit rapporter les souffrances, les tortures, les bombardements, les camps de déplacés ? Comment parler de la présence de Dieu quand ceux qui portent sa parole se font enlever, se font tuer, vivent le martyre ?
C’est par la lumière dans les yeux des religieux et moniales croisés sur son chemin que Églantine Gabaix-Hialé choisit de le faire. Mais aussi par la musique d’un chef d’orchestre dans les ruines de Bagdad ou Qaraqosh ; par un verre d’eau offert par une femme qui venait de perdre ses derniers effets dans l’incendie de sa tente ; par les larmes ravalées d’un enfant de 3 ans qui a déjà appris à les retenir.
« La terre s’est déchirée, ouverte en deux, elle a englouti dans son néant ceux qui, jusque-là, hurlaient en silence. Ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui tenaient en bascule, oubliés de tous, rescapés de la guerre, des maladies, de la faim, tremblent d’effroi pour ceux qui sont encore vivants. Tenant encore une fois à bout de bras les rescapés, hissant les corps des morts, en hurlant Allahu Akbar, Dieu est plus grand. Est-ce que Dieu est plus grand que nos souffrances ? Est-ce que Dieu tremble lui aussi ? Sur les brèches de ce monde fendu, se tiennent des hommes et des femmes, debout, qui le portent à bras-le-corps. »
Églantine Gabaix-Hialé nous livre ses doutes, ses questionnements, ses révoltes… Elle met des mots sur l’insoutenable, elle rappelle à nos consciences l’existence de ceux qui, de l’autre côté de la Méditerranée, vivent dans un monde en ruines. Sans discours moralisateur, sans parti pris, son texte s’ancre dans l’amour qu’elle porte à ces pays, leurs habitants.
« À moi qui ne fuyais rien, à part peut-être l’ennui et des démons de pacotille, ils ont ouvert leur porte, leur table, et plus que tout leur cœur, par leur présence bienveillante, silencieuse, joyeuse et priante. Depuis vingt ans que je les ai rencontrés, c’est grâce à eux que j’ai pu traverser ce monde qui semblait se déchirer sous mes pieds et m’engloutir. C’est grâce à eux que je n’ai jamais cessé de chercher ce qu’il y avait de beau. »
Un livre à lire, absolument.
Anne-Sophie
